L’incipit absolu :
Happé par l’action dès
l’ouverture du film, on n’en demeure pas moins surpris par la suite des
événements ,les plans sous- marins de l’incipit misant sur la tension jusqu'à
nous traduire l’étouffement du personnage de Samia et son angoisse intense ,nous
plonge tout de suite en plein suspens :à chaque fois que celle-ci tente de remonter de cette eau ,on a comme
l’impression de renaître ,une renaissance qui m’a tout l’air d’une résurrection
.C’est de loin la séquence la plus prenante !Que quitte Samia si ce n’est des
bribes de vies jonchées au fond de cette mère houleuse qui n’est que métaphore
de la désillusion et de la peur de ne pouvoir accéder à un ailleurs où elle
deviendra maîtresse et de son destin et de son corps mutilé par un frère
violent et djihadiste !
En retraçant le parcours d'une jeune fille qui
échappe à un naufrage de justesse , la cinéaste nous fait découvrir plus tard qu’elle porte les
stigmates d’une maltraitance physique que lui infligeait son frère extrémiste : l’emblème d'une société patriarcale et castratrice ; les coups de fil passés à la mère qui ne se préoccupe que du fils parti,alors que sa propre fille est
livrée à elle-même dans un pays étranger sans ressources en est le parfait exemple de la prédominance masculine et de la perpétuation d'une misogynie féminine inconsciente .
Bousculant les
certitudes au-delà du paraître, l’image rend compte à travers le corps stigmatisé
des douleurs intimes de cette jeune
femme aux prises avec sa quête d'une identité personnelle échappant à
« l’être bafoué » qui ne reconnaît ses origines qu'à partir de ses
priorités à savoir celle de la survie ! Ainsi même si le film ,à mon sens, retrace
le parcours d'une clandestine de par le chemin parcouru, il démontre par les faits qu'elle ne
l'était pas moins de là où elle était partie! Etrangère Samia elle l'était déjà
chez soi avec une mère qui ne voit que son fils !Etrangère Samia l'est aussi
aux yeux de ce frère pour qui elle n'est qu'une femme à battre afin de dompter
! Subtilement orchestré le film nous livre tous les stigmates de la jeune femme
sans s'attarder sur le superflu! On n'est pas attendri car chose étrange, on
est persuadé si ce n'est le fantôme du frère qui la hante que cette jeune femme
est capable de s'en sortir!
En somme, au-delà
de toute attente même si le noyau du film est ce même corps entité mutilée, le
personnage principal de Samia en fait un dépassement.
Le corps en tant que référent intime du féminin :
Effectivement
la question du corps n'a jamais cessé de tarauder l'esprit de la réalisatrice Raja
Amari , encore une fois elle nous
livre une œuvre qui met en scène le corps comme seul et unique référent de
l'être intime féminin; il faut dire que régler son compte avec tout le
conditionnement corporel qu'on reçoit est loin d'être une mince affaire
surtout qu'on est amené à rompre avec une société où la notion du désir de la
femme demeure encore un tabou .Aujourd'hui plus qu'hier ,vu la conjoncture
sociopolitique actuelle en Tunisie, le corps de la femme est au sein même des
discussions: objet de désir ultime et de prohibition religieuse à la fois, il
suscite les plus houleux des débats .
Corps étranger au-delà des frontières battues :
Mais au-delà des frontières géographiques et
culturelles ,il y’a de ces frontières inhérentes à l’être en soi et à mon sens
« Corps étranger » en est la parfaite illustration de ces frontières
non apparentes dans la mesure où il met en scène trois personnages (Samia,
Leila et Imed) qui ont les mêmes origines mais qui sur le fond demeurent si différents :ils
sont non seulement étrangers dans un pays étranger –à l’exception de Leila qui m’a
tout l’air d’être tout à fait intégrée -mais aussi ils sont étrangers les uns aux
autres :un chiasme et une mise en abîme pour mettre en relief la
complexité des personnages en dehors de leurs frontières. Il ne s'agit plus
seulement de mettre en exergue la sensualité acculée à la chair, présente dans
la séquence pudique et non moins érotique du trio dansant, mais bien plutôt de
comprendre comment cet entrelacs
sensoriel de la manifestation corporelle rend compte de la dualité
attraction/répulsion inhérente à ce qui est ordinairement suscité par chaque forme de désir réprimé par le
tabou et l’interdit.
Trompé par les dehors sensuels de la dite
séquence, un spectateur inexpérimenté pourrait être tenté d’y voir que l’expression
d’une libido frustrée ;néanmoins la cinéaste joue sur plusieurs registres
filmiques et nous fait entrevoir la complexité du corps en tant que entité non
contrôlée voire en tant que déclencheur de positionnements affectifs des plus
complexes :les trois personnages qui proviennent de la même culture loin
d’être dans la même démarche ne sont pas dans le même projet de quête :le
parcours de Leila n’est pas celui de Samia ,ni celui de Imed;par ailleurs,même si Leila prend
sous son aile Samia on a l’impression que c’est Samia qui la protège et non le
contraire c’est dans ce sens que ce rapport complexe échappe à la banalité .
Sans conteste, il en sort que la vraie
identité n’est pas celle qui est apparente à tout un chacun :les êtres et
les corps sont complexes :l’ambiguïté du personnage de Samia qui pousse
les deux autres personnages dans leurs retranchements en est le parfait exemple. Par ailleurs le personnage de la veuve Leila est loin d’être binaire :curieuse voire
voyeuse et à l’affût de la sensation forte dont elle a été privé de par son embourgeoisement aux côtés de son défunt mari ,le personnage de Leila alias Madame Bertoux est autant
complexe que celui de Samia. Quant au facteur masculin ,Imed , il semble fonctionner comme un révélateur pour les deux femmes
concernant leur positionnement affectif : générateur de désir chez Leila et de crainte chez Samia dont il est l'ami du frère ,il finit par rapprocher les deux femmes au lieu de les séparer car finalement ce qui compte c’est de ne
pas briser la chaîne de la solidarité féminine.
La mise en abîme de trois personnages qui
viennent d'ailleurs et dont le parcours n'est pas à l'identique nous laisse
affirmer que la cinéaste a utilisé cet affrontement générationnel et
générique afin de mettre à la lumière la notion de l'étrangeté qui est loin de
résider dans l'origine nationale ou raciale !Une façon de faire exploser
le préjugé et d’affirmer qu’à chaque
immigré son identité originelle et certainement pas celle qui est
apparente ou supposée être à première vue.
Mais il y'a aussi ce corps fantomatique du frère obscurantiste qui n'est plus mais dont Samia sent la menace physique ,ce frère ne prend corps que dans l'esprit de cette dernière et la cinéaste s'arrange pour qu'il prenne autant de place dans le notre, mais certainement pour mieux nous amener à nous en défaire.
Les personnages sont
peints à la nuance près.Loin du manichéisme obsolète, l’auteur les suit sans
a priori et les met en observance ,mais avec un projet de sensibilisation envers la condition féminine d'où le climax :Samia finit par rejoindre la terre natale accompagnée de Leila et parvient à faire la paix avec sa mère devant cette mer où elle a failli se noyer pour échapper à cette même terre.N'est-ce pas là un clin d’œil pour signifier aux femmes que la remise en question doit commencer par soi car au bout du compte l’homme
n’est opposant que par le renoncement des femmes
face à sa volonté!
Indubitablement,je dirai que c'est de loin le film le plus féministe de Raja Amari ;car c'est seulement en conjurant leurs démons ou leurs fantômes -comme il a plu à la cinéaste de leur donner corps par l'image-que les femmes pourront un jour aspirer à ressusciter .
Indubitablement,je dirai que c'est de loin le film le plus féministe de Raja Amari ;car c'est seulement en conjurant leurs démons ou leurs fantômes -comme il a plu à la cinéaste de leur donner corps par l'image-que les femmes pourront un jour aspirer à ressusciter .
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