mardi 16 juin 2015

Dowaha le film de Raja Amari:révélation ou continuité?

Certains ont détesté d'autres ont aimé:une chose est sûre personne n'en est resté indifférent;encore une fois Raja Amari va au delà des sentiers battus .Incontestablement, la jeune cinéaste qui n'est pas à son premier essai ,a déjà fait ses preuves avec" avril "son court,"satin rouge" son premier long(qui ont raflé des prix de par le monde),notre auteur ne va pas de main morte;l'univers féminin dont elle dépeint l'intimité et par la même occasion les travers semble être très dérangeant pour certains ,trop vrai pour d'autres...

Un parti pris surgit celui de privilégier le langage cinématographique au verbe volubile:ce qu'on ne peut entendre,on peut voir.Ainsi,pour ceux qui pensent que le verbe est plus signifiant qu'une image ,cette option peut leur paraitre quasi frustrante:dans ce cas le silence est-il d'or?Je dirai pour ma part:"oh que oui ";puisqu'il est loin d'être aussi muet ce film à qui on reproche son silence pesant , son manque de dialogue et son rythme long ;La question du rythme est un choix des plus justifié du moment où on travaille sur des vies où il ne se passe pas à première vue grand chose,à ce stade comment signifier la lourdeur de ce temps,ce vide où ces trois femmes sont prisonnières depuis des années jusqu'à ce que ce beau couple débarque chez elles pour bousculer leurs habitudes qu'elles essayent d'entretenir malgré ce danger immanent signifié par le cri de la soeur aînée à chaque fois qu'elle appelle aicha?Ce aicha strident qui vient troublé le silence de cette demeure fantomatique,située presque aux confins du réel...Une demeure qui nous rappelle le mythe de la caverne platonicien: les habitantes sont confrontées à un changement brusque qui mettra en cause toutes leurs certitudes,et pourtant certaines de ces certitudes n'ont pas lieu d'être car le contact des trois femmes avec autrui est limité(la soeur aînée vend sa broderie pour qu'elle puisse provenir à certains de leurs besoins nourriciers),il demeure le fait qu'elles se soucient de la virginité de la toute petite quand celle-ci rendra visite aux gens d'en haut;et voilà un moment des plus saugrenus:la mère qui vérifie si l'hymen de la petite n'a pas été altéré...Un moment très ironique ,d'un humour que je trouve décapant et corrosif...

Esthète notre cinéaste jongle avec les clins d'oeil connatifs tels que les "red shoes" qui sont vecteurs de folie incontrôlable,des plans limite figés où la mise en scène prend toute son ampleur comme celui du dîner festin et tant d'autres,un air ,une chanson nous transportant dans des époques révolues mais dont le charme ne nous laisse pas insensibles ancrant ainsi en nous des sensations multiples,mêlant nostalgie ,suscitant des passions enfouies. Pour moi l'univers amarien est là, installé depuis "avril" car il est dans la continuité esthétique, ceux qui ont vu ses autres films ne peuvent lui nier son authenticité,ni ce parti pris contre toute compromission qu'elle soit d'ordre esthétique ou cinématographique .
 
  Ce qui parait de l'ordre de l'itération est ,à mon humble avis ,la confirmation d'un style:dans les trois fictions de amari trois dominantes surgissent:le travail sur l'espace en tant que vecteur de sentiments , ressentiments,frustrations et omissions :l'adjuvant spatial est déclencheur de passions,de folie parfois bénéfique comme c' est le cas dans" satin rouge" où le personnage se surpasse en assumant sa féminité ...Dans" avril "cet même espace clos renferme solitude et mal être que va adoucir la venue de cette fillette,que va brusquer les visites de ce médecin...Dans" dowaha",l'espace est le lieu de l'ensevelissement de l'inceste ,de la honte partagée et de la soeur et de la mère et puis il y a ce micro espace celui de la salle de bains ou des toilettes où les trois femmes se livrent et se révèlent dans leur intimité la plus crue,la plus vraie:espace clos,espace de déchaînement du fantasme,de la révélation du moi le plus profond,celui que les autres ne voient pas mais qu'ils perçoivent au delà des murs et des portes closes ,et ensuite vient la glace où on se regarde tel qu'on aimerait être(aicha),où on réprime sa honte,son dégoût de soi et du fait prohibé(lla soeur aînée) ,où on se fraye un temps pour soi pour fumer ou croire encore que tout n'est pas perdu et qu'on fait semblant d'être encore femme(la mère) ...

 Tout comme l'espace,le "mâle" est aussi déclencheur du "ça" féminin-si je peux le qualifier ainsi- l'homme se fait discret dans les films amariens mais quand même il demeure pivot et au même temps "booster" de changement...Néanmoins dans le cas de" dowaha "la jeune femme du couple est dans un premier temps dans la continuité de ce même mâle,éconduite et trahie par la suite elle rejoindra dans un second temps l'univers féminin des trois autres femmes;La complicité féminine s'installera petit à petit ,elle est signifiée et par la gestuelle (les séquences où les trois femmes touchaient l'intruse,une sorte d'exploration sensuelle voire bestiale et primitive mais si attendrissante et touchante à la fois ...Une récurrente qu'on retrouve dans "Avril" quand les deux femmes découvrent cette fillette,ou dans "Satin rouge "quand les danseuses du cabaret entourent la mère au milieu des froufrous ...) ,et par cette séquence de la sortie des quatre femmes se promenant dans le spacieux jardin à l'air libre l'une à côté de l'autre:un moment de répit ,une plage de douceur qui sera hélas de courte durée ...

 Il va de soi que "Dowaha" est un film qui s'inscrit dans un genre particulier mais il demeure le fait qu'au delà du genre ,le film est l'aboutissement de tout un parcours cinématographique ,qui n'est autre que celui d'une cinéaste qui ne cesse d'évoluer et de nous étonner de par sa manière d'aborder cette matière humaine dont elle révèle tous les travers sans sombrer pour autant dans le moralisme obsolète et stérile:encore un parti pris! Oui, mais des plus judicieux !

écrit le 7 décembre 2009 par lamia horrigue

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