mercredi 8 avril 2020

Tlamess de Ala Eddine Slim: Aux confins du réel, il y a l'éclatement des frontières et des genres



    "  Aucune révolution n’aura lieu sans changement radical de l’idée qu’on se fait du réel ."

                                                                                                                 Judith Butler (1) 

Abdullah Miniawy & Souhir Ben Amara



  Aux confins du réel, il y a la forêt dans tout ce qu'elle représente de plus majestueux ,territoire neutre et tronqué de toute marque de modernité harassante ,de toute frénésie temporelle où le temps se fige en attente de la gestation.Deux personnages ,Elle et Lui,dont la vie semble pour le moins insipide et privée de sens jusqu'au jour où la fuite de l'un et l'errance solitaire de l'autre les mènent à se retrouver dans  un no man's land .



Au coeur de la structure il y a la question des frontières

   La structure scénaristique  nous donne à voir trois actes majeurs: un premier acte mettant en exergue le parcours initiatique de  Lui  désertant  cette guerre contre l'inconnu qui s'arrête là où il rejoint la forêt après avoir été confronté à l'aridité du désert , à la désolation de la ville incendiaire et à la blessure au flanc qui lui fait traverser un cimetière ;un second acte met en scène Elle dans sa côte d'ivoire, qui apparaît lasse de ses privilèges et si indifférente à la procréation. Cette rupture dans la représentation des personnages n'est pas anodine puisqu'elle met l'accent et sur la disparité et sur la dissociation des mondes auxquels ils appartiennent.
   Ainsi,le destin de l'un et de l'autre à priori ne présage pas la rencontre et pourtant c'est au coeur de cette forêt que le troisième acte et la rencontre vont avoir lieu.Mais n'en déplaise à certains, le choix des trois actes ne s'inscrit pas dans une forme classique. Tout au contraire , l'écriture de  Alaedinne Slim procède par emboitement .Effectivement ,chaque acte majeur procède par succesion d'emboitements actantiels et c'est là que ça devient a fortiori intéressant et assez troublant.

  Le traçage des frontières (esthétiques,sociétales,politiques,sexuelles...etc) est in facto dénué de sens, car dans la Forêt ,celui-ci disparaît pour laisser place à l'affranchissement .
 
     La question de la déterritorialisation deleuzienne (2) est au coeur du propos de Tlamess:la désertion de Lui de l'armée et de Elle de ses privilèges est un processus nomade qui tente inlassablement de s'arracher au territoire dans le sens absolu du terme.N'est-ce pas là la condition sine qua non de l'artiste! C'est ainsi que l'enfant ,tout comme l'oeuvre dont on accouche, ne sera en aucun cas pour eux,tout comme pour le cinéaste, un prêtexte de reterritorialisation et que leur virée et la sienne ne s'arrêtera pas à la frontière de la forêt.

   Peu respectueux de l'établi en matière de genre ,le cinéaste va encore plus loin en déplaçant les frontières conceptuelles de ce dernier. Ainsi, on voit Lui dans une scène très similaire à la pièta tenant Elle souffrante commençant le travail précédant l'accouchement .Peu après ,on voit Lui encore allaitant l'enfant.Plus loin dans une même optique, c'est Elle qui rappelle à Lui de se détacher de l'enfant .
   En somme,si la biologie et le sociétal a établi,le cinéaste déconstruit en dénaturalisant la conception du masculin et du féminin.


 
 Un non persistant aux tentatives de reterritorialisation





   Au delà du traitement purement fictionnel et de sa portée universelle,Tlamess demeure ancré dans un contexte politique bien précis .Ceci dit, la guerre au terrorisme est signifiante du conflit dans l'absolu .Car voyez-vous, on déserte aussi les guerres dont on méconnait les instigateurs et dont on ne veut pas citer les noms, mais dont on donne plus au moins les contours.Et ce, dans le but de décontextualiser par rapport au terriritoire et inscrire ces mêmes contours dans une problématique synoptique capable de toucher tout un chacun.

    Ainsi, ce soldat, à qui le déserteur donne du feu au milieu du désert lors d'une escale ,réplique   :  "Terrorisme mon cul !Il  ne se passe rien  !On affame les gens et On les tue pour rien !".
  A partir de là ,le ton est donné : le politique s'inscrit dans une volonté qui tire à bout portant sur toute forme de nationalisme ou de chauvinisme qui est attelée aux idéologies manichéennes ,d'où cette séquence en  travelling aéréen  qui surplombe la ville qui en commençant par le minaret passe par la banque Zitouna pour finir sur un brasier .

    Indubitablement ,Tlamess remet  en cause non seulement l'existence des frontières mais aussi les fondements des establishments civilisationnels qui se nourrissent du conflit et  sacrifient pour l'avoir l'humain.

   Et pourtant dans cette bataille, il n'y a ni vainqueurs ni vaincus ;et dans ce désert chaque soldat est face à ses propres démons,entrainé dans un cycle dont il méconnait les véritables enjeux ,d'où le suicide de l'un  des jeunes soldats  !

  In fine,Tlamess n'a pas livré tous ses secrets et ses codes: plus on y réfléchit, plus nous sommes amené à en déchiffrer d'autres-comme ceux liés au synchrétisme des figures et religieuses et cinématographiques ou l'usage d'un bestiaire détourné et dont la symbolique puise sa force d'un alliage surréaliste- .

    En fin de compte,tout en renouant avec l'auteurisme pur et dur et  ses thématiques métaphysiques questionnant la condition humaine ,Tlamess demeure néanmoins très actuel .Effectivement, il  témoigne du mal être de cette nouvelle génération de cinéastes-à l'échelle nationale et internationale underground de la counter culture- qui aspirent à la déterritorialisation. Une nouvelle génération qui nous rappelle ,étrangement,  certaines des générations qui l'ont précédée ; plus particulièrement, celles qui étaient aux prises avec le désenchantement séculaire(3) et qui étaient en quête d'une autre forme de spiritualité pour échapper aux sociétés de contrôle .



Notes:

  1. Judith Butler dans Gender Trouble (2005 : 46). 
  2. Gilles Deleuze et Félix Guattari , L’Anti-Œdipe , 1972 ,éditions de Minuit.
  3. En référence à l'expression désenchantement du monde qui a été définie en 1917 par l'économiste et sociologue allemand Max Weber.






lundi 10 juillet 2017

Corps étranger: très bel accueil du film de Raja Amari à Madrid, au Festival Ellas Por Cine

   Le film «  Corps étranger » de la cinéaste Raja Amari  a reçu un très bel accueil du public espagnol présent lors du festival "Ellas son cine" pour sa cinquième édition  à Sala Berlanga de Madrid.  Cinq films ont été projetés du 3 au 7 juillet dont, en ouverture, Jassad Gharib, de Raja Amari, suivi d'un débat mené par la commissaire du festival Guadalupe Arensburg.

Crédit photo Ellas Por Cine ©
   Ellas por cine  a vu le jour il y’a quatre ans au sein de la fondation Femmes pour l’Afrique -Mujeres por Africa- Cette dernière lancée en février 2012, est encouragée et présidée par Maria Teresa Fernández de la Vega, la première femme vice-présidente d'un gouvernement espagnol (pendant la législature socialiste de Jose Luis Rodríguez Zapatero) et l'un des 20 membres du Global Groupe consultatif de la société civile, UN Women. En outre, le Conseil consultatif de la Fondation compte 16 femmes - huit africaines et huit espagnoles - dans de nombreux domaines. Parmi eux, la présidente du Liberia et le prix Nobel de la paix, Ellen Johnson-Sirleaf, ainsi que l'ancienne présidente de la Finlande, Tarja Hallonen.

Crédit photo Ellas Por Cine ©
Ainsi La Fondation Mujeres por Africa, très consciente de l'importance du cinéma, de la télévision et du monde des images concernant la question de la femme a lancé il y a quatre ans, le projet "Ellas son cine" un programme de films réalisés par des femmes réalisatrices d'origine africaine.

  A l’issue de la projection, j’ai été conviée à animer le débat aux côtés et de la cinéaste et de la commissaire du festival. en tant que critique cinématographique et spécialiste du cinéma des femmes (créatrice du blog CinéFéminin) .

Crédit photo Ellas Por Cine ©




 Le public a été interpellé par la manière particulière avec laquelle la réalisatrice s’est emparée de la thématique de l’immigration et la mise en scène  du film axée sur des personnages féminins forts. Par ailleurs, la relation complexe et l’inversion des rôles opérée entre les deux protagonistes a suscité l’intérêt, notamment le personnage déterminé et versatile de Samia. La réalisatrice a expliqué qu’il était important que les personnages féminins puissent être aussi ambivalents et sombres, s’éloignant ainsi de l’image de victime qui leur colle à la peau. De ce fait, le personnage de Samia s’empare de son propre destin et inverse l’ordre établi. Il faut conclure que les personnages de femmes ont le droit aussi d’être des anti-héroïnes.

Crédit photo Ellas Por Cine ©
Le public était curieux et avide d'information concernant la place qu'occupe la femme tunisienne dans sa démarche émancipatoire au vu de ce qui s'est passé après la dite révolution du printemps concernant la montée du radicalisme-auquel le personnage du frère de Samia fait écho, et le danger que représente ce dernier par rapport aux acquis de la femme tunisienne- D'un commun accord spontané ,la cinéaste et moi avons signifié que la femme tunisienne réalise les enjeux politiques et est à même de relever le défi .Par ailleurs, Raja Amari a précisé que les années de dictature n'étaient pas un gage d'émancipation de la femme tunisienne car rien ne peut égaler le fait de pouvoir s'exprimer librement pour asseoir ses acquis .  

samedi 1 juillet 2017

Corps étranger de Raja Amari : Une mise en abîme du corps même de l'exister .



L’incipit absolu :

     Happé par l’action dès l’ouverture du film, on n’en demeure pas moins surpris par la suite des événements ,les plans sous- marins de l’incipit misant sur la tension jusqu'à nous traduire l’étouffement du personnage de Samia et son angoisse intense ,nous plonge tout de suite en plein suspens :à chaque fois que celle-ci  tente de remonter de cette eau ,on a comme l’impression de renaître ,une renaissance qui m’a tout l’air d’une résurrection .C’est de loin la séquence la plus prenante !Que quitte Samia si ce n’est des bribes de vies jonchées au fond de cette mère houleuse qui n’est que métaphore de la désillusion et de la peur de ne pouvoir accéder à un ailleurs où elle deviendra maîtresse et de son destin  et de son corps mutilé par un frère violent et djihadiste !

   En retraçant  le parcours d'une jeune fille qui échappe à un naufrage de justesse , la cinéaste nous fait  découvrir plus tard qu’elle porte les stigmates d’une maltraitance physique que lui infligeait son frère extrémiste : l’emblème d'une société patriarcale et castratrice ; les coups de fil passés à la mère qui ne se préoccupe que du fils parti,alors que sa propre fille est livrée à elle-même dans un pays étranger sans ressources en est le parfait exemple de la prédominance masculine et de la perpétuation d'une misogynie féminine inconsciente  .

    Bousculant les certitudes au-delà du paraître, l’image rend compte à travers le corps stigmatisé  des douleurs intimes de cette jeune femme aux prises avec sa quête d'une identité personnelle échappant à « l’être bafoué » qui ne reconnaît ses origines qu'à partir de ses priorités à savoir celle de la survie ! Ainsi même si le film ,à mon sens, retrace le parcours d'une clandestine de par le chemin parcouru, il démontre  par les faits qu'elle ne l'était pas moins de là où elle était partie! Etrangère Samia elle l'était déjà chez soi avec une mère qui ne voit que son fils !Etrangère Samia l'est aussi aux yeux de ce frère pour qui elle n'est qu'une femme à battre afin de dompter ! Subtilement orchestré le film nous livre tous les stigmates de la jeune femme sans s'attarder sur le superflu! On n'est pas attendri car chose étrange, on est persuadé si ce n'est le fantôme du frère qui la hante que cette jeune femme est capable de s'en sortir!
    En somme, au-delà de toute attente même si le noyau du film est ce même corps entité mutilée, le personnage principal de Samia en fait un dépassement.


Le corps en tant que référent intime du féminin :

    Effectivement la question du corps n'a jamais cessé de tarauder l'esprit de la réalisatrice Raja Amari  , encore une fois  elle nous livre une œuvre qui met en scène le corps comme seul et unique référent de l'être intime féminin; il faut dire que régler son compte avec tout le conditionnement corporel  qu'on reçoit est loin d'être une mince affaire surtout qu'on est amené à rompre avec une société où la notion du désir de la femme demeure encore un tabou .Aujourd'hui plus qu'hier ,vu la conjoncture sociopolitique actuelle en Tunisie, le corps de la femme est au sein même des discussions: objet de désir ultime et de prohibition religieuse à la fois, il suscite les plus houleux des débats .



Corps étranger au-delà des frontières battues :

   Mais au-delà des frontières géographiques et culturelles ,il y’a de ces frontières inhérentes à l’être en soi et à mon sens « Corps étranger » en est la parfaite illustration de ces frontières non apparentes dans la mesure où il met en scène trois personnages (Samia, Leila et Imed) qui ont les mêmes origines mais qui sur le fond demeurent si différents :ils sont non seulement étrangers dans un pays étranger –à l’exception de Leila qui m’a tout l’air d’être tout à fait intégrée -mais aussi ils sont étrangers les uns aux autres :un chiasme et une mise en abîme pour mettre en relief la complexité des personnages en dehors de leurs frontières. Il ne s'agit plus seulement de mettre en exergue la sensualité acculée à la chair, présente dans la séquence pudique et non moins érotique du trio dansant, mais bien plutôt de comprendre comment  cet entrelacs sensoriel de la manifestation corporelle rend compte de la dualité attraction/répulsion inhérente à ce qui est ordinairement suscité  par chaque forme de désir réprimé par le tabou et l’interdit.

  Trompé par les dehors sensuels de la dite séquence, un spectateur inexpérimenté pourrait être tenté d’y voir que l’expression d’une libido frustrée ;néanmoins la cinéaste joue sur plusieurs registres filmiques et nous fait entrevoir la complexité du corps en tant que entité non contrôlée voire en tant que déclencheur de positionnements affectifs des plus complexes :les trois personnages qui proviennent de la même culture loin d’être dans la même démarche ne sont pas dans le même projet de quête :le parcours de Leila n’est pas celui de Samia ,ni celui de Imed;par ailleurs,même si Leila prend sous son aile Samia on a l’impression que c’est Samia qui la protège et non le contraire c’est dans ce sens que ce rapport complexe échappe à la banalité .


   Sans conteste, il en sort que la vraie identité n’est pas celle qui est apparente à tout un chacun :les êtres et les corps sont complexes :l’ambiguïté du personnage de Samia qui pousse les deux autres personnages dans leurs retranchements en est le parfait exemple. Par ailleurs le personnage de la veuve Leila  est loin d’être binaire :curieuse voire voyeuse et à l’affût de la sensation forte dont elle a été privé de par son embourgeoisement aux côtés de son défunt mari ,le personnage de Leila alias Madame Bertoux est autant complexe que celui de Samia. Quant au facteur masculin ,Imed , il semble fonctionner  comme un révélateur  pour les deux femmes concernant leur positionnement affectif : générateur de désir chez Leila et de crainte chez Samia dont il est l'ami du frère ,il finit par  rapprocher les deux femmes au lieu de les séparer car finalement ce qui compte c’est de ne pas briser la chaîne de la solidarité féminine.

   La mise en abîme de trois personnages qui viennent d'ailleurs et dont le parcours n'est pas à l'identique nous laisse affirmer que la cinéaste a utilisé cet affrontement générationnel et générique afin de mettre à la lumière la notion de l'étrangeté qui est loin de résider dans l'origine nationale ou raciale !Une façon de faire exploser le préjugé et  d’affirmer qu’à chaque immigré son identité originelle et certainement pas celle qui est apparente ou supposée être à première vue.

 Mais il y'a  aussi ce corps fantomatique du frère obscurantiste qui n'est plus mais dont Samia sent la menace physique ,ce frère ne prend corps que dans l'esprit de cette dernière et la cinéaste s'arrange pour qu'il prenne autant de  place dans le notre,  mais certainement pour mieux nous amener à nous en défaire. 


  Les personnages sont peints à la nuance près.Loin du manichéisme obsolète, l’auteur les suit sans a priori et les met en observance ,mais  avec un projet de sensibilisation envers la condition féminine d'où le climax :Samia finit par  rejoindre la terre natale accompagnée de Leila et parvient à faire la paix avec sa mère  devant cette mer où elle a failli se noyer pour échapper à cette même terre.N'est-ce pas là  un clin d’œil pour signifier aux femmes que la remise en question doit commencer par soi car au bout du compte l’homme n’est  opposant que par le renoncement des femmes face à sa volonté! 

  Indubitablement,je dirai que c'est de loin le film le plus féministe de Raja Amari ;car c'est seulement en conjurant leurs démons ou leurs fantômes -comme il a plu à la cinéaste de leur donner corps par l'image-que les femmes pourront un jour aspirer à ressusciter .

lundi 19 septembre 2016

Nhebek Hédi :au delà de la romance...

Trois femmes et un homme aurait pu être aussi le titre de Nhebek Hédi,ce film réalisé par le cinéaste  Mohamed Ben Attia  et dont le personnage principal est un homme, est à mon sens un hymne à la femme tunisienne dans toute sa splendeur,le choix des trois figures féminines:la mère ,la fiancée et l'amante rebelle dont il tombe éperdument amoureux au cours de ses déambulations n'est pas arbitraire.Des figures  justes et probantes dans le sens où elles sont représentatives de la personnalité commune majoritaire de la femme tunisienne,je dirai même de la femme à une échelle universelle.
D'abord, la figure de la  mère castratrice qui  ne se voit pas comme telle puisque dans le fond elle croit  faire son devoir en mettant en oeuvre tout ce qui est en son pouvoir pour la réussite de son enfant  lui assurant ainsi un foyer et un métier-en somme la vision binaire chez tout individu conforme à la norme,ce qui est loin de satisfaire la quête d'un absolu tant désiré par son fils.Une mère qui use de toutes les stratégies comme  le lieu commun de ce frère aîné qui revient comme un leitmotiv pour rappeler au cadet le poids de l'échec,s'il ne réussit pas à se faire un chemin : une des  constantes parentales en matière de chantage affectif chez la majorité des parents .Puis,il y'a la fiancée qu'on rencontre la nuit dans sa voiture et qui ne discute que de mariage et de  famille lisse et proprette sur tout rapport  avec qui Hédi aurait aimé échanger une discussion probante ou un tant soit peu d'affection.Et puis voilà Rim qui apparaît au détour d'un chemin inattendu et improbable dans un hôtel local où elle fait l'animatrice ,une femme indépendante et libre menant une vie de bohème au gré de ses désirs...
Tout semble donner à l'intrigue un caractère dramatique assez pesant si ce n'est le talent du cinéaste qui a su contourner le pathos d'une manière subtile dénuée de tout poids moraliste.En effet,le cinéaste a installé une légèreté tendre voire pudique par le biais du mouvement de la caméra parfois subjective et voyeuse dans le cas du personnage de Rim,parfois indécise et flottante quand elle filme la mère ou la fiancée pour marquer  la distance qui démontre le manque de communication dans les rapports :mère/enfant et  fiancée/Hédi .
Ceci dit, à aucun moment on a le sentiment que ce conflit écarte la conscience de l'amour que la mère porte à son enfant ou que ce dernier lui porte ,comme il ne nous semble pas qu'on  puisse reprocher à la fiancée sa façon d'être ,elle est sous observation sans qu'il y'ait un dénigrement de son embourgeoisement héréditaire ,de même malgré toute la passion qu'éprouve Hédi à l'égard de Rim,il ne l'a pas suivi ;le climax vient renforcer ce constat :Hédi choisit de rester au lieu de partir avec cette dernière vers un ailleurs incertain sans lendemain et pourtant les adieux du couple étaient chargés d'émotions et donnent  à voir une grande affection et un trop plein d'amour ce qui prouve que Hédi n'éprouve que de la tendresse et point de rejet affectif ni effectif envers ces trois femmes malgré leurs différences relationnelles,chacune est porteuse de sens et de symbole:la mère incarne le despotisme ,la fiancée l'établi et Rim la rébellion et la liberté.
Effectivement à quoi sert de fuir vers un ailleurs quand on n'a rien réglé avec soi-même ,voilà une "morale" qui pour une fois ne se positionne pas par rapport au tabou en tant que tel ,mais par rapport à sa propre quête existentielle.Tout ce que Hédi recherchait c'était d'être maître de son destin ,de faire ses propres choix et d'être libre tout comme cette jeunesse du printemps arabe dont la quête va au delà du politique car si on ne pouvait  pas  mettre fin à la domination sociétale conformiste et obsolète comment pourrait-on prendre sa propre existence en main! Comment aurait-on la force et la conscience nécessaires pour donner naissance à une vraie révolution!Voilà toute la question du film Nhebek Hedi qui semble traiter à première vue des travers d'une existence anodine d'un commercial ordinaire!

mardi 23 juin 2015

Les Sixties : un rendez-vous raté !

A l’avènement des sixties et en particulier de mai 68 ,on avait cru qu’une forme de libération aurait été possible, une émancipation des deux sexes aurait été même réalisable, car à mon sens ,en se libérant la femme peut libérer aussi l’homme de ce rôle de macho viril qui pèse autant et aux femmes et aux hommes eux-mêmes, qui se trouvent cantonner à ne pas laisser voir leur sensibilité féminine ou cette fragilité inhérente à tout être humain qui s’estime humainement sensible et à l’écoute de ses propres émotions.

La Beat Generation a carrément mis à nu toute cette hypocrisie propre au conservatisme puritain en faisant exploser toutes les barrières du non dit, l’anti héros américain est né en écartant de son chemin un héros infaillible et émotionnellement suicidaire car tel un automate, il n’a jamais cessé de reproduire que ce qu’on attendait de lui. Mais la Beat Generation était aussi misogyne que l’avaient été ses prédécesseurs: Neal Cassady et Jack Kerouac étaient alcooliques, misogynes, coureurs de jupons et ils se sont tués à cause de l'abus de substances. Les Beats auraient pu inverser la donne quant à la vision qu’on peut avoir de la femme mais un écorché vif ne peut se prétendre le partenaire de la femme à égalité, ce n’était certainement pas le propos des Beats...












Par ailleurs, nul ne doute que le Nouveau Roman a bien précédé la Nouvelle Vague ,l’éclatement au niveau de l’écrit, le chamboulement des critères narratifs reposant sur l’intrigue et le personnage ne sont plus exploités comme vecteurs essentiels au parachèvement de l’histoire. Et on voit une influence kafkaïenne devancière de toute cette remise en question de la façon de concevoir l’utilité romanesque : à savoir l’art du roman se doit avant tout d’être conscient des objets et des gestes : “dans les constructions romanesques futures, gestes et objets seront là avant d’être quelque chose”, affirme Robbe-Grillet, ainsi la littérature s’est nourrie du cinéma, notamment de l’école russe et de l’expressionisme allemand…etc.

Mais que ce soit en littérature, qu’au cinéma rien n’a été changé concernant l’image de la femme, il est vrai que l’image de cette dernière est plus sujette à la nuance mais sur les faits le rôle de la femme reste amoindri dans l’effectif narratif et ses connotations prévisibles ; à titre d’exemple, on peut se pencher sur les films de la Nouvelle Vague et relever l’ambivalence et cette ambiguïté attribuée à la plupart de ces personnages féminins. Pourquoi s’interroger sur cette école et pas une autre car il nous a semblé qu’il est absurde de faire exploser tous les clichés sauf ceux concernant les femmes qui demeurent des adjuvantes du personnage masculin donc « auxiliantes » plus que protagonistes ,exception faite pour Agnès Varda , Margueritte Duras et Resnais qui ont mis en scène des personnages féminins qui étaient des vraies « actantes » de leur propre histoire .

Il est à noter, par ailleurs, que la constante de la femme comme objet du désir et du soupçon de la dite femme fatale mais à la sauce des sixties était d’usage, l’exemple le plus probant à notre sens est celui d’ « A bout de souffle » de Godard où le personnage féminin interprété par la jeune et non moins talentueuse Jean Seberg.

En effet, malgré sa culture notoire qu’on qualifierai même de précieuse, Patricia demeure hésitante inconstante dans ses désirs et dans ses actes face au protagoniste masculin(Jean-Paul Belmondo :Michel Poiccard) qui au final , admettons le, la courtise inlassablement. On les retrouve dans la chambre d’hôtel :elle le gifle pour un baiser mais elle lui prête ses fesses pour qu’il les caresse sans état d’âme : l’oxymoron est au niveau de la séquence filmée et au niveau même des attributions psychologiques du personnage en tant que tel !Qu’on déjoue tous les clichés au niveau du langage cinématographique c’est compréhensible !Qu’on fait du cliché une constante chez les figures féminines tout en déjouant tous les autres poncifs ne peut que soulever notre questionnement quant à la portée d’une telle certitude vis-à-vis de l’actant féminin !

A l’heure actuelle et après tout ce chemin parcouru à l’échelle universelle, on a la certitude que l’ère est à la régression dans certaines régions du monde et même dans les contrées se proclamant comme modernes et avancées ,car même si le cinéma y contribue par certains films d’auteur à redresser la barre ,on n’a pas encore pu se défaire de la médiocrité à l’échelle commerciale, il faut dire que la contribution de la publicité y est pour beaucoup ,les canons imposés par le monde de la mode et le marketing ont formatés les nouvelles générations depuis l’enfance.Et la femme reste malheureusement un produit comme un autre qui sert dans la majorité des cas comme un appas pour les plus primitifs d’entre nous. En revanche, on demeure convaincu que si le propos est prenant et qu’un univers y est installé, même dans un film qui est considéré commercial qui fait des entrées à l’échelle d’un blockbuster,rien ne peut ôter la valeur artistique intrinsèque à l’esprit qui l’a conçu ,et on pense même que là réside une forme d’intelligence qui peut allier les deux :à savoir le gain et la contribution à déjouer le système même en étant dedans !



Faut-il encore rappeler qu’il va de l’avenir de l’homme que de donner aux femmes ce qui leur est du :une reconnaissance de leur statut en tant qu’être pensant et autonome et qui n’est ni fragile ,ni inconstant et surtout qu’il n’a jamais été différent des hommes car les aspirations de chaque être humain sont uniques et ne coïncident nullement à ce qu’on attribue à son genre dans le cadre obsolète des lieux communs.

vendredi 19 juin 2015

Et de ces figures féminines qui ont façonnées notre imaginaire cinématographique collectif

Détenteurs du monopole du cinéma, les hommes de tout temps ont été habités par la création de figures féminines qui correspondaient le plus souvent à leurs fantasmes les plus fous en ce qui concerne l’image de la femme .Loin de nous toute pensée sexiste concernant les aprioris de certains de ces cinéastes quand il s’agit de femmes car ils ont bien compris depuis belle lurette que les femmes s’aiment à se voir à travers le regard de l’homme et dans le regard d’un homme .

Les femmes pour longtemps étaient cantonnées dans la fonction de la costumière ou de la maquilleuse ou au plus haut degré celui de l’actrice qui par la suite est devenue la star.

Pendant les premières tentatives cinématographiques, on a mis en scène des femmes languissantes et tributaire d’une féminité qui correspond tout à fait aux désirs des hommes :femme fatale ou objet toujours sujette à tous les désirs d’où la naissance des vamps et par la suite de la pin up ,ce serait que de mentir ou de se voiler la face si on avançait l’argument que la majorité des femmes n’aimaient pas se reconnaître dans la mystérieuse femme fatale qui fait tourner la tête à tous les hommes et en particulier les plus téméraires d’entre eux, mais faut-t-il aussi reconnaître que c’est par le biais de la plupart de ces modèles cinématographiques qu’on a façonné leur imaginaire cinématographique collectif comme celui des hommes par ailleurs, chose due certainement à un ancrage éducatif qui se fait au niveau même des familles à cette époque .Par ailleurs, à la naissance d’un féminisme assez réfractaire, certaines se voyaientt bien dans la peau de l’intrigante que dans la peau de la mère de famille lisse et proprette sur elle-même qui n’a que pour seul cadeau que le regard d’un mari à qui elle veut bien servir les repas et tenir la maisonnette propre !
Theda Bara, LA vamp du cinéma muet, et la première femme fatale du cinéma. Elle construit prolonge l'archétype 1900 de la démoniaque dévoreuse
Seulement voilà dans la plupart des films où les femmes dérogent aux règles, on constate une portée moralisatrice et moralisante surtout dans des genres tels que : les films noirs ou le polar ou dans le drame social ; quant aux comédies puisqu’elles se doivent d’être légères même quand un personnage féminin l’est aussi ceci ne dérange personne puisque sur le fond rien n’est réellement pris au sérieux. A ce propos, il me vient à l’esprit « Some like it hot » de Billy Wilder et cette séquence au début du film quand Joe écoutait Sugar lui racontant ses déboires amoureux avec les saxophonistes et lui annonce qu’en Floride, elle souhaite se trouver un millionnaire pour l'épouser.
 Some Like It Hot de Billy Wilder
Ce n’est qu’avec certains films d’auteurs que les personnages féminins ont pris de l’ampleur car elles étaient des personnages de composition qui la plupart du temps sont pris de la littérature d’où le trop plein d’adaptation de romans. L’autre cas c’est quand le cinéaste choisit un type de femme particulier qu’il mettra au service de tous ces films à ce niveau il n’est plus question de femme mais surtout d’un univers particulier ce qui n’ôte à aucun moment au propos son caractère misogyne à part bien sûr les exceptions ,comme La Strada de Fellini au autre.Le constat est là :le film ne se repose sur le personnage féminin que par le biais de la beauté et la portée sensuelle de la star mise en scène ,ainsi l’énergie et l’aura de cette dernière ne servira qu’ à mettre en valeur l’action menée par le personnage masculin.
Giulietta Masina Dans La Strada de Fellini

jeudi 18 juin 2015

La boite de Pandore ou la chambre noire

Parce que encore aujourd'hui plus qu’hier, la question de la femme semble plus à l’heure du jour, on ne peut passer à travers sans mettre la lumière dessus. Le temps nous a prouvé, comme la grande et la petite histoire par ailleurs, que certaines failles du système sociétal d’ici ou d’ailleurs n’a pas résolu la question de la femme en tant qu’être et non un sujet aux pressions séculaires qui s’exercent depuis bien longtemps et leurs clichés millénaires. Il nous est apparu que seul l’art et en particulier le cinéma car il se positionne en tant que culture de masse et qu’il est en continuel mouvement pouvoir être capable d’être un vecteur de changement et de transformation sociétale majeure.
Cet art considéré comme populaire ou élitiste à partir des sujets dont il traite ou la forme et les références qu’il épouse peut mettre un terme à la stigmatisation d’un sexe qui est encore considéré à l’heure actuelle de seconde zone. En dépoussiérant ces maux ancestraux, en malmenant les tabous et en abattant le Totem, le cinéma peut donner un coup fatal au sexisme prédominant surtout dans les sociétés conservatrices qui n’arrivent pas à se défaire de ses ancrages culturels obsolètes et stériles.
Le pari demande au préalable une grande réflexion où la spontanéité au niveau créatif ne doit pas être à l’ordre du jour car chaque faux pas au niveau du propos ou au niveau du traitement cinématographique peut donner tout à fait l’effet inverse loin de nous de cautionner une forme de censure quelconque , choquer oui mais pas bêtement ni arbitrairement car on n’est pas partisans du shockvertising pour le shockvertising ,donc on ne recommande que la mûre cogitation qui mènera à une narration probante et à un propos qui suscitera une forme d’empathie moins passive chez le public !D'autant plus que le cinéma ne peut s’atteler à faire du télévisuel à la sauce des télénovelases source d’abêtissement et d’annihilation de tout propos qui se respecte ,du moins c’est ce qu’on espère de lui :un recul nécessaire pour créer des atmosphères et des situations intéressantes et prenantes qui par la même occasion peuvent être ciblées et curatives de toute cette médiocrité ambiante .
                                              

 Jean Cousin Eva Prima Pandora, 1549